- CRISTAUX LIQUIDES - Phases mésomorphes biologiques
- CRISTAUX LIQUIDES - Phases mésomorphes biologiquesDans les substances organiques, il existe plusieurs types de cristaux liquides (myéliniques, smectiques, nématiques). Ceux de type cholestérique ont des propriétés optiques remarquables: pouvoir rotatoire considérable et réflexion de lumière polarisée circulaire. En outre, les longueurs d’onde réfléchies dépendent de la température. Les molécules impliquées peuvent être relativement petites: c’est le cas de nombreux dérivés du cholestérol qui présentent une ou plusieurs phases mésomorphes ; le benzoate de cholestérol, par exemple, fut le premier cristal liquide connu (F. Reinitzer, 1888). Un grand nombre de polymères biologiques à poids moléculaire élevé, tels que certains polypeptides et des acides nucléiques en double hélice, comme l’ADN, donnent également des liquides ordonnés lorsqu’ils sont en solution concentrée. La myéline et, plus généralement, les cytomembranes sont des cristaux liquides.Les propriétés optiques et géométriques des cristaux liquides subsistent parfois dans les solides qui en résultent par polymérisation. De telles «pseudomorphoses solides» sont très répandues chez les êtres vivants et, en particulier, dans les tissus squelettiques. Les carapaces de certains coléoptères réfléchissent de la lumière polarisée circulaire et présentent un pouvoir rotatoire élevé à l’instar des liquides cholestériques. Dans ce cas, les couleurs réfléchies ne dépendent pas de la température.Il existe toute une gamme d’intermédiaires entre les cristaux liquides et les pseudomorphoses solides. Certains systèmes biréfringents peuvent être extrêmement visqueux et même avoir une consistance pâteuse, en gardant des propriétés qui les rattachent aux cristaux liquides classiques. Beaucoup de colloïdes sont biréfringents et doivent être rapprochés des cristaux liquides, sans satisfaire de manière parfaite à la définition donnée plus haut.1. Propriétés généralesÀ l’état statique, la biréfringence des cristaux liquides est très élevée. Elle est, par exemple, de 0,3 pour le p -azoxyanisole à 120 0C (la biréfringence du quartz est seulement de 0,009). Les cristaux liquides en mouvement présentent en outre une biréfringence d’écoulement. L’anisotropie à l’état statique est liée à la forme allongée des molécules qui se côtoient parallèlement. On appelle directeur en un point déterminé la direction moyenne des molécules dans un petit élément de volume entourant ce point. Les cristaux liquides sont généralement des corps uniaxes positifs. L’ellipsoïde des indices, allongé et de révolution, rend compte de la forme et de la distribution statistique des molécules. L’axe optique du liquide coïncide avec le directeur.Les molécules sont libres de se déplacer les unes entre les autres. Elles restent parallèles au directeur. Pour de nombreuses substances mésomorphes, il n’y a pas de polarité, c’est-à-dire que les molécules s’ordonnent indifféremment dans le même sens ou tête-bêche, parce que les extrémités sont symétriques ou sensiblement équivalentes. Au contraire, les molécules qui se côtoient sont systématiquement orientées dans le même sens, quand leurs extrémités sont nettement différenciées. Les molécules peuvent présenter chacune un pôle hydrophile et un pôle hydrophobe, comme dans le cas des cristaux liquides myéliniques. À cause de cette polarité, de telles molécules sont dites amphiphiles .Les cristaux liquides peuvent être obtenus avec des substances pures ou des mélanges. Le benzoate de cholestérol est mésomorphe entre 145 0C et 178 0C. Ces deux températures correspondent à des transitions du premier ordre, soit vers le solide cristallisé, soit vers le liquide isotrope. L’état mésomorphe intermédiaire est dit thermotrope et intervient dans une gamme déterminée de températures.Le PBLG (poly-benzyl-L-glutamate) est un polypeptide de synthèse, capable de donner une phase mésomorphe avec divers solvants: CH2Cl2, CHCl3, dioxane, etc. On observe la phase liquide biréfringente pour une gamme de concentrations comprises entre deux valeurs extrêmes C1 et C2 correspondant chacune à une transition du premier ordre. C1 et C2 dépendent de la température et du poids moléculaire du polypeptide. Un tel système mésomorphe est dit lyotrope .De nombreuses substances donnent des cristaux liquides d’une manière simultanément lyotrope et thermotrope. Ainsi, lorsqu’un corps pur, tel que le benzoate de cholestérol, est additionné d’une petite quantité de toluène, la température correspondant à la transition isotrope est abaissée, à condition toutefois que la concentration du solvant ne dépasse pas un certain seuil, au-delà duquel il n’est plus possible d’obtenir de phase mésomorphe. La distinction entre cristaux liquides lyotropes et thermotropes évolue et, de plus en plus, on réserve le qualificatif de lyotrope pour les phases mésomorphes obtenues en solution, dont les molécules ont une polarité dans le sens où nous l’avons précisé plus haut.2. ClassificationCristaux liquides myéliniques et arrangements paracristallins lyotropesLes systèmes lipides-eau peuvent former des cristaux liquides ou des arrangements paracristallins qui leur sont étroitement apparentés. Les gaines, qui entourent les axones des nerfs blancs et de la substance blanche du cerveau, sont formées de myéline. Quand de l’eau est additionnée à de la substance blanche, la myéline se gonfle en formant des ramifications qui grandissent, se courbent, se vrillent ou se divisent à leur tour. La myéline est très fortement biréfringente et se comporte en liquide. La lécithine en est l’un des constituants essentiels et donne les mêmes phénomènes en présence d’eau. Un grand nombre de substances forment des cristaux liquides myéliniques. C’est le cas par exemple de l’acide oléique sous forme de sel alcalin, en milieu aqueux. Des formes myéliniques s’observent, ou sont facilement provoquées, dans certains tissus végétaux, tels que les cellules épidermiques de l’ail en présence de soude ou d’ammoniaque diluée (Gicklhorn, 1932).Les diagrammes de diffraction des rayons X par la lécithine et la myéline naturelle, additionnées d’eau à divers pourcentages, démontrent l’incorporation progressive de celle-ci (J.-J. Trillat, 1925; Schmidt et Palmer, 1940). Les molécules sont arrangées parallèlement, de manière polaire, en formant des feuillets doubles dont la distance augmente proportionnellement à la quantité d’eau ajoutée (fig. 1).Au cours du gonflement par l’eau, la biréfringence intrinsèque uniaxe positive, qui résulte de l’orientation des molécules amphiphiles, est progressivement compensée et même dépassée par la biréfringence de forme due à l’alternance des lamelles lipidiques et de l’eau. Le système lamellaire devient alors uniaxe négatif. Il est isotrope optiquement pour une valeur déterminée de la concentration de l’eau.Les associations données par la lécithine, le cholestérol, les sels biliaires et l’eau ont été examinées systématiquement au microscope polarisant et en diffraction X aux petits et grands angles (Dervichian et coll., 19661967). Les diagrammes de phase ternaires et quaternaires obtenus avec ces constituants sont généralement complexes et comportent des systèmes lamellaires, hexagonaux et cubiques.Des extraits de cerveau, des culots de mitochondries, de chloroplastes ou d’autres organites permettent de préparer des complexes lipides-eau qui ont été décrits par V. Luzzati et ses collaborateurs (1962-1969). Les chaînes paraffiniques peuvent être soit totalement désordonnées, soit partiellement désordonnées en formant des hélices ou des chaînes étirées, soit totalement ordonnées comme les cristaux de savons. Les molécules amphiphiles sont groupées selon divers éléments qui peuvent être: des lamelles indéfinies, des rubans indéfinis de largeur déterminée, des disques de largeur finie, des tiges indéfinies de même diamètre, des bâtonnets de longueur et diamètre déterminés ou des sphères de rayon égal. Dans chaque cas, les régions polaires des molécules se situent soit à l’extérieur, soit à l’intérieur de ces éléments, et il en résulte deux types de distributions (fig. 2). On obtient soit des empilements lamellaires, soit des arrangements hexagonaux, soit des réseaux à deux ou trois dimensions formés par les bâtonnets qui se joignent trois à trois ou quatre à quatre, soit des arrangements cubiques à face centrée.Cristaux liquides smectiquesLes molécules allongées et parallèles sont réparties dans des couches qui s’empilent régulièrement les unes au-dessus des autres. Elles sont, le plus souvent, perpendiculaires aux couches; mais, dans certains cas particuliers, elles sont obliques suivant un angle constant. Les savons ont donné leur nom aux mésophases smectiques. On préfère actuellement réserver le terme «smectique» aux arrangements non polaires des molécules. Les savons mésomorphes lamellaires sont donc des myéliniques. De nombreux dérivés du cholestérol donnent de véritables smectiques.Cristaux liquides nématiquesLes molécules d’un petit élément de volume du cristal liquide ne sont pas assujetties à former des couches parallèles comme dans les myéliniques ou les smectiques. Leurs centres de gravité sont distribués au hasard, mais les grands axes des molécules restent en moyenne parallèles à une direction commune.Un cas particulier de l’état nématique est la forme hélicoïdale ou état cholestérique , ainsi désigné parce qu’il fut connu initialement pour certains dérivés du cholestérol. L’enroulement hélicoïdal intervient lorsque le liquide renferme certains composés dissymétriques capables d’imposer une torsion au milieu. Il se forme alors une stratification en «contre-plaqué torsadé» (fig. 3 a). Les molécules sont alignées parallèlement dans des plans superposés. Quand on passe d’un niveau au suivant, la direction privilégiée des molécules tourne d’un angle petit et constant; l’angle de rotation est proportionnel à la distance qui sépare deux plans. Les plans successifs de la figure 3 a ont été indiqués parce qu’ils facilitent la représentation, mais la structure est continue. On appelle pas hélicoïdal (ou pas cholestérique) la distance entre deux plans correspondant à une rotation de 3600. Ce pas cholestérique diminue, la stratification devient de plus en plus serrée et la torsion augmente quand on introduit à des concentrations de plus en plus élevées un composé soluble, dissymétrique et torsadant. La molécule de benzoate de cholestérol offre une dissymétrie qui lui permet d’être d’emblée cholestérique; additionnée en petite quantité à un corps nématique, elle provoque une torsion conduisant à la stratification en contre-plaqué hélicoïdal. On peut ainsi faire apparaître une striation bien visible en microscopie ordinaire, puisqu’il suffit d’ajuster la concentration pour obtenir un pas cholestérique correctement résolu par l’appareil (fig. 3 b). Un polypeptide de synthèse tel que le PBLG donne en solution de belles phases cholestériques. Si l’on mélange à parties égales les deux énanthiomères optiques, on obtient une mésophase nématique (à torsion nulle ou à pas cholestérique infini). Le pas hélicoïdal des cholestériques varie également avec la température. Le benzoate de cholestérol donne une stratification trop fine pour être résolue en microscopie ordinaire. Alors qu’un tout petit élément de volume, dont les dimensions sont très faibles devant le pas hélicoïdal, se comporte comme un corps uniaxe positif, la mésophase se présente globalement comme une substance uniaxe négative. La distribution torsadée des ellipsoïdes des indices locaux est équivalente statistiquement à un ellipsoïde des indices aplati. La fine stratification du benzoate de cholestérol peut être évaluée par l’examen spectroscopique des couleurs réfléchies. Celles-ci dépendent de la température.C’est pourquoi cette propriété est à la base d’une méthode de thermographie très sensible. On a réalisé depuis quelques décennies la synthèse d’un grand nombre de corps mésomorphes à la température ordinaire ou à d’autres températures et l’on a étudié systématiquement les couleurs réfléchies données par ces corps et leurs mélanges (J. L. Fergason, 1966; M. Magne et P. Pinard, 1969). Cette méthode s’est avérée très utile dans le domaine médical (M. Gautherie). Les résultats sont plus précis que ceux qui sont apportés par la thermographie infrarouge. Les applications sont pratiquement limitées à l’exploration cutanée: on procède soit en badigeonnant la peau avec une solution du mélange cholestérique dans du chloroforme qui s’évapore, soit en étendant sur la peau un support plastique adhésif. Les variations de couleur donnent la répartition thermique et révèlent des points de fébrilité correspondant à des œdèmes inflammatoires ou à des tumeurs cancéreuses localisés sous la peau.3. Les mésophases authentiquement liquides des organismes vivantsLes propriétés de la membrane cellulaire sont, à beaucoup d’égards, celles de films liquides. Les membranes se disposent selon des surfaces fermées et n’offrent jamais de bord libre. Les phénomènes de pinocytose et la formation des vacuoles ne se comprennent que si l’on suppose que la membrane est un film liquide baignant dans un autre liquide qui ne lui est pas miscible.De telles membranes se composent de phospholipides, de cholestérol, de protéines et de polysaccharides [cf. MEMBRANES CELLULAIRES]. Les phospholipides sont des amphiphiles avec leur structure duale schématisée dans les figures 1, 2 et 4. Elle comporte une partie hydrophile schématisée par un cercle et une partie hydrophobe linéaire, l’ensemble ayant l’aspect d’une épingle. Elles tendent à s’aligner au niveau des interfaces lipides-eau et en diminuent la tension superficielle.Les membranes cellulaires sont constituées essentiellement par une bicouche de phospholipides. Les chaînes paraffiniques hydrophobes sont tournées vers l’intérieur, alors que les pôles hydrophiles tapissent les deux faces extérieures. Diverses protéines sont intégrées dans cette bicouche. Elles comportent elles-même des parties plus ou moins hydrophiles ou hydrophobes suivant la nature des acides aminés de leur chaîne polypeptidique. Les parties hydrophobes sont généralement enfouies dans la bicouche (fig. 4). Des molécules de cholestérol, également amphiphiles, sont intercalées çà et là entre les phospholipides.La membrane est une structure hautement dynamique. Les molécules de phospholipide se déplacent les unes entre les autres en restant confinées dans leur monocouche (sauf lorsqu’elles inversent leur orientation en passant dans la couche opposée; c’est le flip-flop des auteurs anglosaxons). On peut analyser les divers mouvements des molécules par des études en résonance magnétique. La diffusion par translation des molécules est accompagnée de rotations des phospholipides sur eux-mêmes. Les chaînes paraffiniques se déforment par rotation autour des laisons C-C. Au voisinage des têtes polaires, les trois ou quatre premiers segments des chaînes ont des mouvements extrêmement limités. Les contraintes stériques sont encore sensibles pour les carbones suivants. Le désordre est élevé par contre dans la région médiane de la bicouche. Les protéines et les molécules de cholestérol se déplacent également les unes entre les autres, dans cette bicouche.La structure des membranes cellulaires se retrouve presque inchangée au niveau des cytomembranes, qui constituent, à l’intérieur des cellules, certains des organites cellulaires (mitochondries, corps de Golgi, réticulum endoplasmique, etc.). Les protéines sont généralement différentes et les phospholipides y sont représentés dans d’autres proportions. Le cholestérol est absent dans la membrane interne des mitochondries. En dépit de ces variations, toutes ces membranes sont dans un état mésomorphe: les molécules sont orientées normalement à la membrane et peuvent diffuser entre elles. Il s’agit d’un liquide ordonné bidimensionnel.Des nématiques légèrement torsadés forment des émulsions dans divers tissus normaux et pathologiques. Chez la femme, le follicule qui renferme l’ovule se transforme après l’ovulation en corps progestatif ou corps jaune; celui-ci accumule des graisses et sécrète des hormones, essentiellement de la progestérone qui intervient dans la nidation et le maintien du placenta s’il y a grossesse. L’examen entre nicols croisés montre que les globules graisseux sont des sphérulites liquides biréfringents, légèrement cholestériques.L’artériosclérose comporte souvent le dépôt d’une «bouillie graisseuse» dans la paroi des artères; l’examen au microscope polarisant révèle qu’il s’agit d’une émulsion de gouttelettes cholestériques (G. T. Stewart, 1966). Le développement de ces anomalies se manifeste surtout chez les personnes âgées. L’évolution de l’artériosclérose conduit ultérieurement à d’autres précipitations de natures variées qui ne sont pas mésomorphes. Des émulsions mésomorphes ont été observées dans d’autres organes soumis à divers traitements expérimentaux.4. Les colloïdes biréfringents à très longues chaînes moléculairesOn connaît de très nombreux exemples de colloïdes biréfringents à très longues chaînes moléculaires. Les solutions d’actomyosine extraites des muscles sont facilement anisotropes; les fibrilles musculaires lisses ont été comparées aux cristaux liquides nématiques (G. F. Elliot et E. M. Rome, 1969). Certains de ces colloïdes peuvent former des sols lorsqu’ils sont assez dilués. À partir d’une concentration déterminée, on obtient un gel déformable, mais présentant une certaine élasticité. Les gels macromoléculaires sont souvent thixotropes, c’est-à-dire qu’une augmentation de pression diminue la viscosité. L’agitation du gel donne un sol qui se reconvertit rapidement en gel. Lorsque la concentration augmente, les chaînes moléculaires tendent à s’aligner et une biréfringence de forme apparaît. La viscosité augmente beaucoup et il est difficile de considérer cet état comme un cristal liquide à part entière. Les chaînes peuvent se grouper localement en formant des lanières et petit à petit un certain nombre de microcristaux (A. Frey-Wyssling). Le gel devient alors un système à deux phases: un ensemble de microcristaux baignant dans un gel orienté (fig. 5). Lorsqu’on laisse évaporer très progressivement le solvant d’une mésophase cholestérique donnée par le PBLG, les diagrammes de rayons X mettent en évidence la formation de microcristaux allongés parallèlement aux chaînes polypeptidiques. Quand il ne reste plus de solvant, le PBLG est entièrement microcristallin et les axes longitudinaux des domaines sont distribués de manière torsadée (E. T. Samulski, 1967). Le gel colloïdal, analogue d’un cristal liquide cholestérique, s’est alors transformé en une pseudomorphose solide, entièrement microcristalline. Le pas hélicoïdal intervient comme facteur limitant des dimensions des microcristaux.L’acide désoxyribonucléique purifié a été examiné en solution aqueuse concentrée, soit au microscope polarisant, soit au microscope électronique (E. Kellenberger, 1962). De telles préparations sont appelées «plasmas d’ADN» par ces auteurs. Lorsque la concentration devient assez élevée, le liquide encore isotrope est assez visqueux pour être étiré selon un fil biréfringent stable. De tels échantillons ont fourni les diagrammes de fibres en diffraction des rayons X qui ont permis d’accéder au modèle de la double hélice. La biréfringence peut apparaître dans une solution d’ADN, en laissant croître la concentration par évaporation, sans qu’il soit nécessaire d’étirer le liquide dans une direction déterminée. La préparation est très visqueuse, nématique, uniaxe négative, parce que la biréfringence de forme, due aux filaments, ne compense pas la biréfringence négative, donnée par les paires de bases régulièrement agencées dans des plans transversaux par rapport à l’axe de la double hélice. Quand on laisse évoluer une telle solution nématique en chambre humide, de manière à garder une concentration à peu près fixe, on obtient une stratification cholestérique résultant de la dissymétrie de la double hélice (C. Robinson, 1959; F. Livolant, 1984). Des solutions concentrées d’ARN bicaténaire , également en double hélice, donnent de remarquables sphérulites cholestériques (M. Spencer et coll., 1962). Les solutions concentrées d’ADN nématique ou torsadé peuvent former des agrégats microcristallins correspondant à des agencements hexagonaux des filaments, repérables sur les diagrammes de diffraction des rayons X.L’ADN est pratiquement pur et très concentré dans certains organites cellulaires. C’est le cas du chromosome d’un grand nombre de bactéries (G. Zubay et M. R. Watson, 1959), des chromosomes des protozoaires dinoflagellés, de l’ADN nucléaire des spermatozoïdes de certains crustacés (P. Chevaillier, 1966) et de l’ADN du kinétoplaste ou unique mitochondrie des trypanosomes de la maladie du sommeil (Steinert, 1965). Les filaments d’ADN sont très bien contrastés en coupe ultrafine dans ces divers matériels. C’est probablement la présence d’histones dans la chromatine et les chromosomes des eucaryotes qui empêche la résolution des filaments sur les micrographies (H. Ris, 1962). Dans les chromosomes des bactéries et des dinoflagellés, l’organisation est celle d’un gel orienté, avec parfois l’agrégation plus ou moins prononcée des filaments. La formation des microcristaux dépend beaucoup de la présence de l’ion Ca2+ dans le milieu (A. Ryter et coll., 1958; G. de Haller et coll., 1964).Les chromosomes des dinoflagellés différenciés au sein du nucléoplasme sont géométriquement comparables aux gouttelettes ou aux bâtonnets de germination de certaines phases cholestériques dans le liquide isotrope (Y. Bouligand, 1965-1971). Les filaments sont distribués en coupe selon des séries d’arceaux, caractéristiques de l’arrangement torsadé (fig. 6 a). Une torsion plus ou moins régulière intervient également dans le chromosome bactérien.Les résultats de la génétique conduisent à admettre que les chromosomes sont formés, en général, d’un seul filament d’ADN ou, éventuellement, d’un nombre très peu élevé. La figure 6 b représente l’arrangement présumé le plus simple dans le cas des dinoflagellés.5. Cristaux liquides discotiquesLes chimistes ont réalisé la synthèse de nombreuses molécules plates, en forme de disque. La région centrale de ces molécules est constituée par l’association rigide et planaire de plusieurs cycles benzéniques, la périphérie étant formée d’un ensemble de chaînes paraffiniques souples. Beaucoup de ces molécules sont susceptibles, dans certaines conditions de température, de s’empiler comme des assiettes, et les piles ainsi formées glissent les unes entre les autres. Il existe de nombreux types de tels cristaux liquides. Certains constituants fondamentaux du noyau cellulaire des eucaryotes, appelés nucléosomes, peuvent donner ce genre d’arrangement quand ils forment des assemblages denses. Les nucléosomes ont une forme discoïdale et sont constituées de huit protéines basiques, les histones, et d’acide désoxyribonucléique en double hélice, formant une superboucle d’un tour trois-quarts à la périphérie. Les nucléosomes peuvent être séparés avec les enzymes appropriées et on peut en préparer des solutions concentrées. Des gouttes très ténues peuvent être séchées et examinées en microscopie électronique. On observe alors les piles décrites plus haut qui se courbent en parallèle. Avec ce que nous avons déjà indiqué sur certains chromosomes de type primitif, il est clair que les structures critallines liquides sont présentes et interviennent dans l’organisation du noyau et des chromosomes.6. Pseudomorphoses solides nématiques et cholestériquesCertains gels donnés par des chaînes macromoléculaires ne peuvent pas être convertis en sols, parce qu’ils comportent des jonctions transversales assez résistantes. Leur structure est néanmoins voisine des gels donnés par les acides nucléiques et les polypeptides de synthèse. La cellulose des parois cellulaires végétales, la chitine de la carapace des insectes, des crustacés et d’autres arthropodes, et de nombreux matériels biologiques de nature fibrillaire sont sécrétés initialement sous la forme d’un gel hydratable mais insoluble. Les systèmes fibrillaires peuvent devenir extrêmement durs quand des réactions chimiques secondaires renforcent la cohérence entre les fibrilles; c’est le cas, par exemple, de la cuticule des insectes au cours du tannage quinonique qui intervient après chaque exuviation. De tels arrangements fibrillaires sont souvent des solides peu hydratés qui possèdent cependant les caractères géométriques, cristallographiques et optiques des cristaux liquides et de leurs analogues colloïdaux. Il s’agit alors de «pseudomorphoses solides».La trame organique de la carapace des crabes (étudiée après décalcification acide), la cuticule des insectes et de la plupart des autres arthropodes présentent en coupe de belles séries d’arceaux (fig. 7). Celles-ci ne résultent pas de l’existence de filaments recourbés, mais bien d’un agencement en contre-plaqué torsadé (fig. 3 a). Des dispositions comparables ont été retrouvées dans un grand nombre de tissus squelettiques (os compact et ivoire dentaire des vertébrés, conjonctif dermique de divers invertébrés). Des agrégations fibrillaires plus ou moins prononcées peuvent perturber l’arrangement torsadé. Dans le tissu osseux compact, des régions assez régulièrement torsadées contrastent avec d’autres où les fibrilles se groupent grossièrement en faisceaux distribués selon un contre-plaqué à angle droit.Les cristaux liquides cholestériques, dont le pas hélicoïdal le permet, réfléchissent une longueur d’onde déterminée du spectre visible avec une intensité maximale. La carapace de nombreux scarabéidés (coléoptères) offre la même propriété. Dans les deux cas, la lumière incidente est décomposée en deux vibrations polarisées circulaires opposées: l’une est réfléchie, l’autre se propage à travers la cuticule ou le cristal liquide (P. Gaubert, 1924). On dit qu’une onde lumineuse est polarisée circulaire si l’extrémité du vecteur électrique décrit une hélice. Les cétoines sont des scarabéidés remarquables par leur reflet vert mordoré, virant au rouge dans certaines régions. La lumière réfléchie est polarisée circulaire; on peut la rendre linéaire en la faisant traverser une lame quart d’onde. L’extinction complète de la lumière réfléchie est obtenue avec un polariseur correctement orienté, en arrière de la lame quart d’onde. L’insecte, vu à travers un tel dispositif, apparaît entièrement noir. Les cristaux liquides cholestériques donnent le même phénomène quand ils réfléchissent les mêmes longueurs d’onde. D’autres insectes, et les carabes en particulier, ont des reflets comparables par la couleur, mais plus ternes; il y a une légère polarisation linéaire dont l’intensité dépend de l’incidence, mais il n’y a pas de composante circulaire, et le dispositif précédent ne permet pas d’éteindre la lumière réfléchie par les insectes. La carapace des cétoines examinée en coupe ultrafine, au microscope électronique, présente des séries d’arceaux et est donc bien un analogue solide des cristaux liquides cholestériques. Les carabes présentent une alternance de couches claires et denses aux électrons, sans aucun signe de torsion dans la structure. Dans ce cas, les couches réfléchissantes de la carapace seraient les analogues solides d’un smectique ou d’un myélinique (Y. Bouligand, 1969).Plusiotis resplendens , très belle cétoine par son éclat et sa couleur dorée unique en son genre, réfléchit simultanément les deux lumières polarisées circulaires droite et gauche. L’examen en microscopie électronique révèle, à une certaine profondeur, l’existence d’une couche unidirectionnelle de filaments chitinoprotéiques, jouant le rôle d’une lame demi-onde (fig. 8). On rencontre successivement de la surface vers la profondeur: un contre-plaqué torsadé gauche ou hélicoïdal h 1; une couche/2; un deuxième hélicoïde h 2 gauche également. La lumière incidente peut être décomposée en deux vibrations circulaires opposées. La vibration gauche est réfléchie par h 1. La vibration droite pénètre dans h 1 et devient gauche en traversant/2; elle est alors réfléchie par h 2, traverse de nouveau/2, redevient droite puis elle est réfléchie après un parcours en sens inverse dans h 1. Les deux composantes droite et gauche sont utilisées et le pouvoir réfléchissant est pratiquement doublé. Ce dernier se trouve également augmenté par la présence d’acide urique incrusté entre les filaments chitino-protéiques (S. Caveney, 1971). Il existe, en effet, une très forte différence d’indice entre ces deux milieux.7. Cristaux liquides et histogenèseL’apparition d’une phase cristalline liquide est un phénomène d’auto-assemblage à l’instar d’une croissance cristalline et des autres mécanismes de dispersion et de réassemblage déjà connus dans les organismes, tels que le virus de la mosaïque du tabac, les filaments d’actine et de myosine, le flagelle bactérien. Les premiers stades de la sécrétion de nombreux tissus sont des liquides ou des gels anisotropes pouvant subir des évolutions chimiques très variées en gardant leurs propriétés géométriques initiales. Les ordres à courte et à longue distance, qui caractérisent les cristaux liquides, subsistent en général dans les tissus qui en dérivent. Les états mésomorphes présentent de nombreux défauts. Leur distribution n’est pas toujours désordonnée et, dans bien des cas, les dislocations forment des motifs précis, groupés en textures. Les cristaux liquides biologiques et leurs analogues sont également caractérisés par leurs textures. Ces questions d’ordre à petite et à grande distance doivent être considérées dans la morphogenèse de nombreux organes.
Encyclopédie Universelle. 2012.